Les épices, entre utilisations et représentations

Publié le par Jehanne et Eloïse

Dans la définition médiévale, les épices sont des produits exotiques venus de loin qui entrent dans la fabrication de médicaments, de cosmétiques, de teintures ou de recettes culinaires.
Les épices, dont le poivre et le clou de girofle, sont utilisées dans la cuisine dès l'antiquité. Ainsi dans le traité d'Apicius 80% des recettes comportent du poivre. Les importations d'épices en Europe occidentale se poursuivent et se diversifient pendant tout le Moyen-Age. Elles sont un ingrédient essentiel de la cuisine aristocratique médiévale. L'apogée de leur utilisation se situe entre le XIVème et le XVIème siècles. Leur succès est lié à de multiples facteurs.

Une utilisation thérapeutique
Les épices sont d'abord employées pour leurs vertus thérapeutiques avant d'être un assaisonnement culinaire. La cannelle est utilisée contre les maux d'estomac et les diarrhées. La coriandre et le clou de girofle sont des médicaments soignant les troubles de l'intestin. Le safran aide à dormir.

Les épices dans la cuisine médièvale
Rapidement les épices sont également utilisées dans la cuisine. On apprécie le goût puissant et la saveur forte de celles-ci ainsi que la couleur que certaines d'entre elles donnent aux plats comme le safran ou la cannelle. Elles sont également utilisées à des fins diététiques à une époque où médecine et alimentation sont intimement liées. Les épices entrent dans la composition de nombreux assaisonnements pour les viandes. Elles doivent ainsi favoriser la digestion. Effectivement elles sont réputées chaudes et sèches et accélèrent donc la cuisson des aliments. Dans la médecine médiévale, la digestion est une lente cuisson des aliments dans l'estomac. La cuisson des denrées est donc un moyen de facilité la digestion. Plus les aliments sont réputés indigestes plus ils sont cuits. Ainsi la viande de boeuf, réputée froide, sèche et grossière, doit-elle être bouillie puis rôtie et enfin accompagnée d'une sauce au poivre qui la réchauffe et la rend plus délicate. 

 Un goût de mystère et de merveilleux
Les épices sont importées d'Orient et d'Afrique. Elles alimentent un commerce international important et très lucratif. Ces épices arrivent par voie terrestre de l'Orient vers le bassin oriental de la Méditerrannée, dans les ports de Beyrouth et Alexandrie. Elles sont achetées par les marchands génois et vénitiens qui les revendent sur les marchés européens. La galanga vient de Chine, le girofle et la muscade d'Indonésie, le poivre rond, le gingembre et la cannelle d'Inde. Or l'Orient a une place trés importante dans les représentations et l'imaginaire occidental car c'est là que se trouve le jardin d'Eden. Cette proximité confère à ceux qui vivent en Orient une longévité exceptionnelle et des ressources inépuisables et merveilleuses (animaux exotiques, monstres humanoïdes, pierres précieuses et épices). Celles-ci ont donc un parfum d'aventure et un avant goût du paradis. Selon Barthélémy l'Anglais, encyclopédiste du XIIIème siècle, la cannelle est ramassée dans le nid d'un phénix, oiseau qui renait de ses cendres après avoir été consummé par le feu et qui symbolise donc la resurrection du Christ et l'immortalité. La cannelle acquiert ainsi une fabuleuse image de marque. On pense encore que l'Eden est la soucre des grands fleuves terrestres dont le Nil. Des marchands égyptiens racontent ainsi à Joinville, compagnon du roi de France Louis IX à la septième croisade, que les épices tombent des arbres paradisiaques dans les eaux du Nil. Des peuples vivant en amont du fleuve tendent des filets pour attraper ces produits merveilleux qui sont ensuite acheminés par bateau au fil du cour d'eau. Cet attrait pour des plantes entourées de mystère explique l'histoire de la graine de paradis. Cette plante nommée également maniguette, apparaît au XIIIème siècle dans la pharmacopée occidentale. Elle devient une épice à la mode au XVème siècle, surtout en France. Son goût est proche du poivre rond et elle devient une denrée trés chère. Les marchands français qui ignorent qu'elle vient d'Afrique pensent que cette épice est originaire d'Orient d'où son nom de graine de Paradis. Mais avec l'essor des voyages d'exploration, on apprend que c'est une plante africaine. Elle perd alors tout son mystère et son prestige. Elle n'est plus nommée graine de paradis mais seulement maniguette et finit par disparaître des recettes après 1530-40.

Un marqueur social puissant
Enfin les épices ont une fonction de distinction sociale. Elles sont très chères et seule l'aristocratie peut en utiliser. La quantité et la variété des épices présentes dans les mets augmentent en fonction de la fortune et du rang du maître de maison. L'histoire du poivre rond montre bien leur rôle de révélateur social. Cette épice est l'une des plus anciennes épices utilisées par les européens. A partir du XIVème-XVème siècles les quantités de poivre rond importées sur le marché européen augmentent ce qui en fait baisser son prix. Il devient l'épice la moins chère et donc la plus populaire. Aussitôt l'aristocratie se détourne du poivre rond devenu trop commun et lui préfère le poivre long beaucoup plus cher.


Les épices sont donc un produit multiforme et multifonction intégré dans un imaginaire emprunt de merveilleux caractéristique du Moyen-Age. Avec les grands voyages de découverte et la mise en place d'un commerce maritine international détenu par les européens, elles deviennent plus accessibles et perdent de leur prestige dans l'alimentation aristocratique, principalement en France où s'élabore une nouvelle cuisine beaucoup moins épicée. 

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P
<br /> Merci pour cet excellent article sur les épices.. et comme on le dit souvent le poivre est le roi des épices.. :)<br /> <br /> <br />
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